Se conformer aux nouvelles exigences de la Haute Autorité de Santé (HAS) représente un véritable défi pour les directeurs d’EHPAD, de résidences autonomie et de SSIAD. La complexité de ces nouvelles normes, combinée aux responsabilités quotidiennes, peut rapidement devenir accablante pour les responsables d’établissements médico-sociaux.
Instaurée par la loi du 24 juillet 2019, la réforme de l’évaluation médico-sociale vise à améliorer la qualité des services et l’accompagnement des résidents. Ce cadre a été mis en place pour garantir une prise en charge optimale des personnes accueillies, en réponse à une demande croissante de transparence et d’amélioration continue dans le secteur médico-social.
Objectifs et contexte de la réforme de l'évaluation médico-sociale
Les objectifs de ce nouveau référentiel d’évaluation sont clairs : évaluer de manière uniforme la qualité des prestations et de l’accompagnement fournie par les structures au regard des attentes émanant des recommandations de bonnes pratiques et de la législation. Un autre objectif, plus implicite, est de faciliter la comparaison des performances des établissements et d’identifier les meilleures pratiques.
Cette même loi prévoit que les rapports d’évaluation soient publiés au grand public, selon des modalités qui seront à définies par décret. Cette transparence accrue permettra ainsi aux usagers et à leurs proches de faire des choix éclairés, de sélectionner les établissements offrant les meilleures conditions de prise en charge, et d’avoir des informations plus précises sur l’établissement où ils sont accompagnés. Elle incite donc les établissements à améliorer continuellement leurs services.
La notion de démarche d’amélioration continue de la qualité
Cette réforme supprime l’obligation pour les établissements sociaux et médico-sociaux de publier un rapport d’évaluation interne. En revanche la HAS recommande fortement de procéder à une auto-évaluation afin de se familiariser avec les attentes de ce nouveau référentiel et de s’engager dans une démarche d’amélioration proactive impliquant ainsi l’ensemble des professionnels dans une réflexion critique, essentielle à l’évolution des pratiques professionnelles.
De plus, afin de garantir que cette démarche soit continue et ne découle pas d’un effort ponctuel tous les cinq ans, le décret du 12 novembre 2021 stipule que les actions entreprises dans le cadre de l’amélioration continue de la qualité doivent être rapportées chaque année dans le rapport d’activité, obligeant ainsi les établissements à s’inscrire dans une véritable démarche qualité intégrée dans leur quotidien.
La structure et les méthodes d’évaluation du référentiel de la HAS
Ce référentiel se structure autour de neuf thèmes principaux : la bientraitance et l’éthique, les droits de la personne accompagnée, l’expression et la participation de la personne accompagnée, la co-construction et la personnalisation du projet d’accompagnement, l’accompagnement à l’autonomie, l’accompagnement à la santé et la continuité et la fluidité des parcours, la politique en matière de ressources humaines et la démarche qualité et gestion des risques.
Les évaluateurs utilisent trois méthodes distinctes pour apprécier la qualité des prestations :
- Le traceur accompagné (Chapitre 1) : Cette méthode est centrée sur l’expression de la personne accueillie concernant son accompagnement. Les évaluateurs interrogent l’usager puis les professionnels sur cet accompagnement spécifique, en vérifiant les documents preuves, notamment dans le dossier informatisé de l’usager.
- Le traceur ciblé (Chapitre 2) : Cette méthode vise à évaluer la mise en œuvre réelle d’un processus sur le terrain et le niveau de maîtrise des professionnels. Les évaluateurs interrogent les professionnels puis la gouvernance, observent les pratiques sur le terrain et analysent les documents preuves.
- L’audit système (Chapitre 3) : Cette méthode permet d’évaluer l’organisation et la stratégie de l’ESSMS, et leur maitrise sur les thématiques interrogées. Les évaluateurs questionnent d’abord la gouvernance puis les professionnels afin de s’assurer de leur compréhension de la stratégie et du fonctionnement de l’établissement, tout en consultant la documentation.
Ces méthodes reposent sur une analyse continue de la cohérence entre les déclarations des résidents, des professionnels et de la gouvernance, et la réalité observée sur le terrain.
Ces 157 critères d’évaluation permettent ainsi une appréciation plus objective de la qualité des prestations grâce à des outils standardisés.
Focus sur les critères impératifs
Les 18 critères impératifs du référentiel nécessitent une attention particulière. En effet, si ces critères ne sont pas notés 4 sur 4 ou *, l’organisme d’évaluation doit remplir un formulaire « critère impératif » sur Synaé pour chaque critère non satisfait. L’établissement devra alors produire un plan d’action de remise en conformité et s’engager à le mettre en œuvre selon des échéances définies. Ce plan devra être transmis à l’ARS en même temps que le rapport d’évaluation.
- Sept critères impératifs concernent le Chapitre 2 relatif aux droits des personnes accompagnées. Les professionnels auront donc un rôle important à jouer dans l’évaluation de la mise en œuvre de ces droits, notamment durant la phase d’entretien et d’observation des pratiques.
- Onze critères impératifs concernent le Chapitre 3, dont un sur l’accompagnement à la santé pour les établissements médico-sociaux (circuit du médicament) et dix sur la démarche qualité et gestion des risques. À noter que cette thématique a été l’une des moins bien notées lors des évaluations en 2023 – entre 56% et 65 % des ESSMS ont satisfait aux exigences de chacun de ces dix critères (d’après le bilan 2023 des évaluations HAS). Trois de ces dix critères liés à la démarche qualité et gestion des risques devront être conjointement évalués avec les élus du Conseil de Vie Sociale.
Cas pratique
Considérons le cas concret de l’évaluation d’un critère impératif du chapitre 2 relatif aux droits de la personne accompagnée. Cette thématique est souvent plus difficile à appréhender, car ces droits sont souvent subjectifs et qualitatifs. Les besoins individuels varient considérablement, rendant une évaluation standardisée complexe. Les aspects éthiques et relationnels exigent une approche plus subtile.
Prenons l’exemple du critère impératif 2.2.2 : Les professionnels respectent la dignité et l’intégrité de la personne accompagnée.
Première étape : S’assurer d’avoir une définition commune des notions de dignité et d’intégrité entre la gouvernance, les professionnels et les usagers. On pourrait par exemple expliquer ces concepts à travers les dimensions suivantes :
- Respect : Être traité avec respect et gentillesse.
- Valeur : Être considéré comme important, avec des sentiments et des besoins.
- Sécurité : Ne pas être blessé physiquement ou moralement.
- Intimité : Avoir sa vie privée respectée, notamment dans les soins personnels.
- Liberté : Pouvoir faire des choix et prendre des décisions pour soi-même.
Deuxième étape : S’auto-évaluer en respectant la méthode et en s’appuyant sur les recommandations de bonnes pratiques en vigueur et la réglementation :
1- Mener un entretien avec les professionnels qui concourent à l’accompagnement des résidents interrogés (ASH, AS, IDE, psychologue, animateur, paramédicaux, etc.) : les évaluateurs vérifieront que les professionnels connaissent et partagent les pratiques favorisant le respect de ces droits, et qu’ils les mettent en œuvre. Ils seront interrogés sur leur compréhension du droit à la dignité et à l’intégrité, et sur la manière dont ils l’appliquent au quotidien. Il faudra donc anticiper des exemples concrets pour illustrer le respect de chacun de ces droits. Ils devront également faire référence à la charte des droits et libertés de la personne accueillie et à toute autre charte « maison » élaborée de préférence conjointement avec les professionnels et les résidents (charte de bientraitance, charte éthique, charte de bonne conduite…). Mais attention : trop de chartes tuent la charte !
2- Réaliser un référencement documentaire pour faciliter la consultation des documents preuves. Cette consultation permettra de vérifier que les professionnels disposent d’outils pour garantir le respect des droits. Les évaluateurs examineront ces documents utilisés pour garantir le respect de la dignité et de l’intégrité.
- Ces fameuses chartes seront donc consultées (idéalement signées par les professionnels et les résidents).
Focus bonne pratique :
Pratique courante dans le secteur du handicap, certains EHPAD ont lancé une démarche consultative impliquant les professionnels, les usagers et les proches, afin de retravailler la charte des droits et libertés dans un format plus adapté à la compréhension de tous (FALC). Ce travail permet d’apporter une définition commune à chaque droit et de mettre en œuvre des actions concrètes pour éviter toute ambiguïté ou interprétation subjective. Il facilite également l’appropriation de cette charte par toutes les parties prenantes, souvent méconnue malgré son affichage dans les établissements depuis 2003.
- Des justificatifs de formation sur le respect des droits des personnes accompagnées et leur mise en œuvre (formation sur la bientraitance, Humanitude, les droits des personnes accompagnées, etc.).
- Des documents relatifs à l’accompagnement du résident qui justifient son accord, son implication et le respect de son refus.
- Des justificatifs de groupes de parole et d’instances de participation pour les résidents, afin de favoriser l’expression de leur dignité et de leur intégrité.
Focus bonne pratique :
Certains EHPAD ont initié des « cafés citoyens », lieux d’expression pour les résidents sur diverses thématiques : consultation sur le fonctionnement de l’établissement, partage d’expériences personnelles, droits des résidents, débats sur des questions d’actualité et de société. Ces cafés peuvent aussi servir à préparer les questions ou remarques à soumettre lors d’un Conseil de la Vie Sociale, permettant ainsi des débats plus représentatifs des attentes de tous les résidents.
3- Observer les pratiques professionnelles et les affichages.
- Faites un état des lieux de vos affichages, vérifiez que vos chartes, notamment celle des droits et libertés, sont visibles à des endroits accessibles à tous. Assurez-vous que ces affichages soient adaptés aux résidents en fauteuil roulant ou qui ont une vision réduite, avec un format et une taille de caractères qui facilitent la lecture.
Focus bonne pratique :
Certains EHPAD utilisent des disques sur les portes des chambres ou des pancartes « ne pas déranger » pour préserver l’intimité des résidents. Ces petits détails peuvent faire une grande différence.
- Relever les forces architecturales qui favorisent la confidentialité, l’intimité, le confort et la sécurité des résidents. Identifier aussi les contraintes en essayant d’apporter des solutions fonctionnelles. Par exemple, pour les chambres doubles, un système de paravent peut préserver l’intimité entre les résidents. Un salon familial peut offrir un espace plus intime pour les visites. L’accès aux extérieurs doit être facilité pour les personnes à mobilité réduite…
- Observer les échanges entre les professionnels et les résidents afin de s’assurer d’une communication bienveillante et respectueuse (exit les « coucou ma belle » et « ma bichette »).
- Assurer vous que les professionnels, mais surtout l’organisation de travail répondent aux besoins individuels exprimés ou non par les résidents. Par exemple, mener une réflexion sur l’horaire des soins du matin au soir, la rythmicité des douches lorsqu’elle ne répond pas aux demandes des résidents, sur l’accompagnement régulier aux toilettes pour limiter les risques d’incontinence « 58% des résidents déclarent qu’on leur impose des protections urinaires alors qu’ils seraient en capacité d’aller seuls aux toilettes, ce que les professionnels confirment » (extrait du rapport du think tank matière grise l’EHPAD du futur commence aujourd’hui) , vérifier le temps de réponse aux sonnettes pour s’assurer de la sécurité et du bien-être des résidents, en garantissant une aide rapide pour leurs besoins urgents…
En résumé
Il est donc important de bien préparer ces critères impératifs, car ils représentent les attentes fondamentales et incontournables de la HAS vis-à-vis des ESSMS. Bien que le fait de ne pas obtenir la note maximale n’entraîne aucune sanction pour le moment, le plan d’action correctif sera suivi de près par les autorités. Ce n’est donc pas la fin du monde si vous ne décrochez pas la note de 4 à tous les critères impératifs mais assurez-vous de bien suivre les actions correctives que vous mettrez en place à l’issue de cette évaluation. En 2023, les trois quarts des ESSMS n’ont pas obtenu la note maximale à tous les critères impératifs (d’après le bilan 2023 des évaluations HAS).
Comment surmonter les obstacles et réussir son évaluation médico-sociale
Lorsqu’on s’engage dans la démarche qualité notamment à travers une auto-évaluation sur la base du référentiel HAS, on se heurte fréquemment à une série de freins et d’injonctions qui peuvent décourager les meilleures volontés. Qu’il s’agisse du manque de temps, de la résistance au changement ou de la méconnaissance des exigences, ces obstacles sont courants et peuvent sembler insurmontables. Toutefois, en adoptant une approche structurée et en s’appuyant sur des stratégies éprouvées, il est possible de surmonter ces freins et de faire de la démarche qualité un véritable atout pour votre établissement.
"On n’a pas le temps"
Intégrez la démarche qualité dans votre quotidien en avançant par petites étapes. Priorisez les actions ayant un fort impact et un faible coût (humain et/ou financier), et acceptez de ne pas satisfaire immédiatement à toutes les attentes. Souvenez-vous de la loi de Pareto : 20 % d’efforts génèrent 80 % des résultats.
La qualité s’apprécie surtout sur le long terme et permet à minima, de réaliser des économies de coûts et de temps engendrés par la « non qualité » (gestion des insatisfactions des professionnels se reflétant par un fort turn-over ou de l’absentéisme, gestion des plaintes et réclamations, perte de temps due à une organisation de travail déstructurée…), au mieux, une amélioration du bien-être des résidents, de leurs proches et des professionnels.
Et si la situation de votre établissement vous contraint trop : faites-vous accompagner ! Il est parfois plus judicieux d’investir dans une aide extérieure et spécialisée plutôt que de se surcharger soi-même et son équipe !
"On a toujours fait comme ça"
Acceptez la résistance au changement et identifiez les réactions individuelles et leurs causes. Communiquez de manière transparente sur les raisons, objectifs et bénéfices de s’évaluer à travers les attentes du nouveau référentiel de la HAS. Formez et accompagnez vos professionnels, en vous appuyant au début sur les plus enthousiastes, ceux qui seront les piliers de votre démarche qualité et qui seront les moteurs pour embarquer le reste de votre équipe. Célébrez chaque petite victoire avec votre équipe pour maintenir la motivation et ajustez votre stratégie en fonction des retours obtenus.
"Ça ne me concerne pas, c’est l’affaire de la direction"
Un salarié en souffrance ou confronté à une charge de travail trop importante ne sera pas motivé à s’investir dans des tâches qu’il percevra comme un surplus de travail. Il est donc crucial que le management évolue vers une forme plus participative et horizontale en initiant avec l’ensemble du personnel une démarche de Qualité de Vie et Conditions de Travail (QVCT). Encouragez la mise en place de groupes de travail où chaque membre peut s’exprimer et proposer des améliorations. Organisez des réunions régulières pour discuter des préoccupations de chacun et trouver des solutions collectives. En adoptant une gouvernance participative, vous vous assurez que chaque membre de l’équipe se sent concerné et engagé, ce qui facilite l’adhésion à la démarche qualité.
"On ne connaît pas/on ne comprend pas les exigences"
Formez-vous ou faites-vous accompagner, au moins au début, pour comprendre et vous approprier les nouvelles méthodes et les nouvelles exigences de ce référentiel HAS qui fait véritablement évoluer notre approche de la démarche qualité. Cherchez les retours d’expérience d’établissements qui ont été évalués pour mieux vous préparer.
Si vous collaborez régulièrement avec d’autres structures, augmentez vos chances de succès en travaillant collectivement : décortiquez les attendus du nouveau référentiel ensemble, réalisez des auto-évaluations croisées inter-établissements pour des notations plus objectives.
En suivant ces conseils, vous transformerez ces obstacles en opportunités, et ferez de l’évaluation HAS un levier essentiel pour le développement et l’amélioration de la qualité de votre établissement.
Comme le dit le proverbe : « Rome ne s’est pas construite en un jour », alors chaque petit pas compte !
Vous avez tout ce qu’il faut pour y arriver, et si malgré ces conseils vous ne vous sentez pas complètement prêt, sachez que nous sommes là pour vous accompagner à chaque étape du chemin. N’hésitez pas à nous contacter pour obtenir le soutien dont vous avez besoin.